Article co-rédigé avec Pauline Jacob
Si Albert Uderzo, décédé le 24 mars 2020, est venu à bout de Coronavirus, valeureux gladiateur dont les exploits sont relatés dans la bande dessinée « Astérix et la Transitalique », il semble que ce tristement célèbre coronavirus revienne prendre sa revanche et plus seulement en Gaulle…
A ce jour, cinq continents et près de 170 pays et territoires sont touchés par l’épidémie de Covid-19 qui trouve son origine dans la province chinoise de Hubei, dans la ville de Wuhan.
La situation sanitaire est critique : plus de 382.000 cas ont été confirmés à travers le monde et pas moins de 16.574 personnes ont trouvé la mort[1].
Prenant acte de cette tragédie humaine sans précédent, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l’a qualifiée de « pandémie » et a enjoint les Etats à prendre des mesures radicales que nombre de générations n’ont jamais connues.
Aujourd’hui, plus d’un tiers de la population mondiale est confinée. Si ce confinement vise à protéger nos vies, qu’en-est-il de la protection de la vie des contrats dont l’équilibre est directement affecté par le Covid-19 ? Dans ce drame civilo-shakespearien : to be or not to be force majeure ?
La force majeure, quésaco ?
L’article 1218 du Code civil (article 1148 ancien du Code civil) prévoit qu’il y a force majeure « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. ».
Commode en ce qu’elle a pour objet de libérer le débiteur d’une obligation dont l’exécution est devenue impossible, sa caractérisation n’en est pas moins évidente en cas d’épidémie. Preuve en est, le juge judiciaire a, à maintes reprises, déniée cette qualification à une épidémie.
L’étude de la jurisprudence française permet de dégager des critères déterminant l’inapplicabilité de la force majeure au contrat, notamment :
Si une épidémie n’est donc pas nécessairement ni automatiquement un cas de force majeure, la situation est aujourd’hui bien différente.
Les mesures sans précédent prises par les pouvoirs publics en France, et dans nombre de pays, en témoignent, qui limitent et interdisent les rassemblements et déplacements de personnes, constituant un obstacle insurmontable à l’exécution d’obligations conventionnelles.
Force majeure, à compter de quelle date ?
L’arrêté du 9 mars 2020 a interdit les rassemblements de plus de 1.000 personnes ; celui du 13 mars 2020 les rassemblements de plus de 100 personnes ; le décret du 16 mars 2020 a ordonné le confinement à compter du 17 mars à 12 heures.
Ainsi, il sera possible, en cas de réservation d’une salle pour un événement rassemblant plus de 1.000 personnes d’invoquer la force majeure à compter du 9 mars 2020 ; pour un événement rassemblant plus de 100 personnes, la date est reportée au 13 mars 2020.
Avant les premiers arrêtés ministériels en France, les choses sont moins sûres. Il appartiendra aux juges de déterminer si l’expansion de coronavirus pouvait, dès avant ces dates, justifier des inexécutions contractuelles.
Effets de la force majeure
En premier lieu, il convient d’être attentif aux stipulations du contrat, lequel peut écarter la force majeure comme cause d’inexécution.
En second lieu, la force majeure, par principe, suspend l’exécution du contrat mais ne fait pas disparaître définitivement l’obligation de l’exécuter. Conformément aux dispositions de l’article 1218, « si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ».
Ce n’est donc que si le retard pris rend inutile ou caduque la prestation que le contrat peut être définitivement résolu et l’obligation éteinte. C’est alors le régime des restitutions qui s’applique, avec les complexités que cela induit lorsque le contrat a été partiellement exécuté.
En troisième lieu, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances, « afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique », notamment toute mesure visant à « modifier, dans le respect des droits réciproques, les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs (…) notamment en termes de délais de paiement et pénalités et de nature des contreparties, en particulier en ce qui concerne les contrats de vente de voyages et de séjours mentionnés aux II et III de l’article L. 211-14 du code du tourisme prenant effet à compter du 1er mars 2020 (…) ».
Les premières ordonnances, prises en application de cette loi, ont été publiées au Journal officiel le 26 mars 2020.
En particulier, l’ordonnance n°2020-315 du 25 mars 2020 relative « aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure » modifie les obligations des professionnels du tourisme, pour une période déterminée et limitée dans le temps.
Lorsque la résolution du contrat est notifiée entre le 1er mars 2020 et une date antérieure au 15 septembre 2020 inclus, ils sont ainsi autorisés à proposer un avoir valable 18 mois, à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués – afin de faire en sorte que ces entreprises ne disparaissent pas, incapables qu’elles auraient été de rembourser à un instant donné l’ensemble de ce qu’elles avaient vendu à leurs clients. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’avoir n’a pas été utilisé aux termes de sa période de validité qu’il sera procédé au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu.
Et l’imprévision ?
La révision pour imprévision constitue l’une des principales nouveautés de la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016.
Si le Covid-19 est susceptible de constituer une cause de force majeure, certains contractants pourront tenter d’invoquer un cas d’imprévision, sur le fondement du nouvel article 1195 du code civil.
Celui-ci dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Dans le cadre de l’imprévision, l’exécution de l’obligation n’est donc pas impossible, mais seulement « plus difficile ».
L’imprévision a donc vocation à jouer un rôle préventif, le risque d’anéantissement ou de révision du contrat par le juge devant inciter les parties à négocier.
En tout état de cause, il conviendra d’être attentif aux dispositions du contrat car, à l’instar de la force majeure, l’imprévision peut faire l’objet d’un aménagement conventionnel ou être écartée, purement et simplement.
[1] Johns Hopkins Center for Systems Science and Engineering figures (CSSE)